[CHRONIQUE] On (en) est encore là

Quand je découvre l’album Suprême NTM, sorti en 1998, j’entends pour la première fois parler du CSA. « Nique le CSA » vocifèrent en chœur Kool Shen et Joey Starr dans On est encore là. A cette écoute, le Conseil supérieur de l’audiovisuel apparaît comme une sorte de police de la pensée tout droit issue d’un cauchemar orwellien. J’ai donc l’image d’un censeur en tête, gardien de « l’ordre moral ». C’est précisément ce que dénoncent certains journalistes visés par des mises en demeure lors de leur couverture des attentats de 2015.

Dans son ouvrage Le livre noir du CSA (2011), l’écrivain-journaliste Guillaume Evin rapporte une anecdote assez amusante sur le véhicule de fonction d’un ancien président du CSA. Il aurait été doté d’un « tri-pin-pon sur le toit avec lumière bleutée ». Vous imaginez, alors, l’actuel président, M. Roch-Olivier Maistre, foncer dans le tout Paris à la manière d’une descente de stups dans les locaux de CNews, lorsque M. Éric Zemmour profère une énième provocation à la haine raciale ? Non ? Eh bien c’est normal, parce que ce n’est jamais arrivé. 

On n’en demande pas autant bien sûr, mais un peu quand même, lorsque ce pseudo éditorialiste dispose d’une heure entière sans contradiction dans son émission Face à Zemmour, pardon Face à l’info. Le choix de la fade Christine Kelly comme présentatrice, ancienne du CSA, ressemble à la fois à une ironie du sort mais aussi à un énorme doigt d’honneur au Conseil. Voilà un gendarme déontologique assez peu respecté. D’autant plus qu’en guise de matraque, le Conseil dispose de mises en garde et de mises en demeure. Autant dire pas grand-chose face à Vincent Bolloré, l’homme d’affaires vorace ultra conservateur, qui défend coûte que coûte ses protégés, Cyril Hanouna et Éric Zemmour. Ce dernier avait d’ailleurs été viré en 2014 de feu i-Télé suite à des propos racistes tenus dans un journal italien. 

Les temps ont changé. Sur CNews, le polémiste multirécidiviste peut dire tout ce qu’il veut, même si cela est contraire à la convention signée par Canal+ avec le CSA : faire l’apologie d’un général qui a massacré des Algériens, traiter de violeurs des mineurs isolés, nier la complicité du gouvernement de Vichy dans l’extermination des Juifs… De saisines en mises en demeure, l’émission et son chroniqueur attitré ne bougeaient pas. Jusqu’en mars 2021, où le CSA condamne la chaîne d’opinions en continu à une amende de 200 000 euros.

Puis, le bruit court qu’Éric Zemmour va se présenter à la présidentielle. Les sages du Conseil s’engouffrent dans la brèche à la rentrée : le polémiste est désormais décompté comme un politique. Finie la tribune libre, bonjour le temps de parole limité, autre pouvoir du gardien de l’audiovisuel. Souvent tiraillé entre sa surveillance déontologique et sa peur de se faire accuser de censeur, le CSA peine souvent à s’imposer. Surtout lorsque le Conseil d’État s’en mêle et décide d’annuler ses sanctions, comme celle interdisant de publicité l’émission Touche pas à mon poste pendant une semaine en 2017. 

Si l’astuce pour enfin piéger CNews et Zemmour ne manque pas de panache, on peut légitimement s’interroger : n’est-il pas trop tard ? Après Jean-Marie Le Pen, « celui qu’on ne censure pas, […] celui qu’on invite à tous les débats » comme le chantait NTM, Éric Zemmour, avec sa logique de clash incontrôlé, a trouvé une légitimité malgré sa pensée nauséabonde. Grâce à une antenne libre et un contrôle timide, ses idées toxiques ont fait leur bout de chemin dans les chaumières des Français. Et de toute façon, avec l’emballement médiatique autour de l’évènement, que pouvait faire le CSA ?

Carla Monaco (@Carl_Mco)