Pluralisme politique dans l’audiovisuel : réalité ou utopie ?

La campagne a officieusement démarré. Depuis, candidats et autres personnalités politiques ne quittent plus nos écrans et nos antennes. En théorie, le pluralisme devrait régner sur ces plateaux. Mais pour certains médias, entre contraintes diverses et manque de volonté, difficile parfois de l’appliquer. 

Jeudi 7 octobre 2021. 7h35, Jean-Luc Mélenchon chez France 2. 7h40, Éric Ciotti sur RMC. 8h30, Nicolas Dupont-Aignan pour LCI. 9h, Robert Ménard en direct de CNews… Dans le paysage audiovisuel français, les hommes et femmes politiques sont omniprésents. De chaîne en chaîne, sur les plateaux ou dans les studios, il n’y en a que pour eux. Certains visages en deviennent familiers. Surgit alors cette impression de voir les mêmes orateurs partout. Qu’en est-il vraiment ? Les médias invitent-ils toujours les mêmes personnalités pour alimenter le débat politique ? Des mouvements sont-ils plus représentés que d’autres ? Tout simplement, la pluralité est-elle respectée ?  

« On sait que les téléspectateurs ne veulent pas voir la même interview chaque semaine. Ils ont besoin de s’intéresser à ce que proposent les différents partis et candidats. En parallèle, on essaye de respecter au maximum la pluralité politique. Dans un intérêt éditorial d’une part et démocratique de l’autre, on varie les choix de passage », confie Charlotte Mattout, programmatrice pour BFM Politique. Mais dans ce métier, être impartial n’est pas toujours évident. 

Course à l’information

Une loi d’offre et de demande régit les grilles de programmation. Certains candidats sont plus sollicités que d’autres et enchaînent ainsi les émissions. On en revient alors à cette fameuse impression de déjà-vu. Dans la grande majorité des cas, un seul passage par média dans un laps de temps court est la norme, mais avec la diversité des émissions politiques et la ressemblance des formats, difficile de faire la part des choses. « Nous ne sommes pas un média unique donc on a l’impression de voir les mêmes personnes. Quand l’un est chez nous le lundi, il peut très bien se retrouver le mercredi chez quelqu’un d’autre et le vendredi encore chez quelqu’un d’autre », constate Cyprien Beytout, programmateur du 7H40 de RTL Matin

L’autre grand facteur qui régit le travail de programmation, si ce n’est le plus important, c’est évidemment l’actualité. Selon les thématiques, certaines personnalités politiques sont plus amenées à s’exprimer que d’autres, en commençant par les membres du gouvernement. « Dans l’urgence, les médias cherchent à avoir la personne la plus apte, sans forcément se poser la question de la couleur politique », explique Charlotte Mattout. Même son de cloche du côté de RTL. « S’il y a des annonces d’un ministre, le mieux c’est que le ministre vienne l’annoncer chez nous, s’il y a une bavure policière ou un meurtre, il faut le ministre de l’Intérieur ou de la Justice… L’événement doit se passer chez toi ou tu rebondis sur l’événement. Parfois tu fais une contre-programmation puisqu’il y a beaucoup de confrères qui veulent le même invité que toi au même moment. » 

Apporter la nuance. Se démarquer. Ce sont des objectifs que certains médias se fixent. La composition des plateaux se calque alors sur les choix éditoriaux des rédactions. Augustin Moriaux, co-animateur et programmateur de l’émission « Bercoff dans tous ses états » sur Sud Radio l’atteste : « On choisit nos invités en fonction de notre ligne éditoriale. Notre émission est particulière, elle cherche à dresser un contre-pied permanent des autres médias : donner la parole à des gens qui critiquent le discours officiel. Évidemment c’est souvent contre la majorité présidentielle, mais pas que. On essaye de relayer des idées que les auditeurs n’entendent nulle part ailleurs. »

Dans certains cas, ces directives éditoriales peuvent être plus radicales, froissant le pluralisme et l’équité. Entre le 10 septembre et le 11 octobre 2021, Laurence Ferrari a reçu 16 personnalités pour son émission « L’invité Politique » sur CNews. De Barnier à Aliot en passant par Le Maire ou Bardella, aucun représentant de la gauche ne figure sur cette liste réduite. De quoi s’interroger sur l’autorité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et ses réglementations qui encadrent les émissions

Le gendarme du PAF en manque d’autorité 

Le CSA est l’organe de contrôle de la diversité idéologique dans les médias. « La préservation du pluralisme des courants de pensée est un principe de valeur constitutionnelle dans notre pays. L’appréciation de ce pluralisme se fait de manière trimestrielle hors période électorale », a rappelé Roch-Olivier Maistre, président du CSA, sur France Info le 11 octobre 2021. Un tiers du temps de parole doit être alloué au parti présidentiel tandis que les partis d’opposition se partagent les deux autres tiers selon leur représentativité aux dernières élections. Les programmateurs doivent donc s’adapter à ces contraintes. Augustin Moriaux, de Sud Radio, confirme que « chaque fin de semaine, [il] envoie au CSA un résumé hebdomadaire avec les invités politiques, leur couleur politique et leur temps de parole ».

En période électorale, de nouvelles consignes sont données aux médias. Une équité encore plus stricte entre les candidats devra être respectée à compter du 1er janvier 2022. Elles seront officiellement divulguées le 21 octobre 2021, nous a indiqué un membre du CSA. 

Mais un flou subsiste sur la réelle autorité du CSA concernant le maintien d’une pluralité politique dans l’audiovisuel. Quelles sanctions pour des médias qui ne la respectent pas à l’antenne ? Le décompte du temps de parole est-il efficace ? Le CSA a le pouvoir d’infliger des amendes aux médias mais les seules qui ont été distribuées ces dernières années ne concernent pas le pluralisme politique. Pour Augustin Moriaux, le système a de vraies failles. « Relever les étiquettes politiques n’a pas de sens. Par exemple, dans un débat sur le souverainisme en France, nous avons invité Julien Aubert, député LR du Vaucluse et Georges Kuzmanovic, homme politique de gauche et président de la République Souveraine. Conclusion : ils pensent la même chose sur ce sujet », glisse-t-il. Idem pour des personnalités politiques issues d’un même parti. « Sandrine Rousseau et Yannick Jadot ont la même étiquette politique selon le CSA alors qu’ils ont des idées totalement différentes », ajoute le jeune programmateur. 

Une campagne précoce qui chamboule tout

La temporalité de la campagne pose également question. Pourquoi contrôler plus strictement la pluralité à partir du 1er janvier 2022 alors que les personnalités politiques annoncent dès septembre/octobre leur candidature ? La campagne bat d’ailleurs déjà son plein dans les médias. A titre d’exemple, RTL a lancé son format de matinale présidentielle jeudi 14 octobre 2021. C’est Marine Le Pen qui ouvrait le bal. « Nous allons inviter tous les candidats dans des formules particulières, style petit déjeuner présidentiel, pour une matinée entière avec le candidat. Le but est de recevoir tout le monde, que ce soit Macron ou des aspirants plus discrets, comme Poutou et Arthaud », dévoile Cyprien Beytout. Mais tous les médias ne se tiennent pas à tant d’équité, si tôt dans la campagne. Certaines voix sont donc moins entendues, et l’écart de couverture médiatique sera peut-être trop grand au début de l’année 2022, quand tout s’accélèrera. 

Les personnalités politiques omniprésentes dans le paysage audiovisuel

Enfin, qui dit campagne spéciale, dit personnalités politiques spéciales. Quid des éditorialistes / hommes politiques ? En d’autres termes, quid d’Eric Zemmour ? Selon le CSA, le pluralisme politique ne s’applique pas pour les journalistes et éditorialistes. Pourtant, le 8 septembre, le contrôleur du paysage audiovisuel français a ordonné aux médias de « décompter Eric Zemmour comme une personnalité politique ». En l’ayant accueilli lundi 11 octobre sur Sud Radio, Augustin Moriaux transmettra au CSA le temps de parole de l’ancien éditorialiste de CNews. Alors que Charlotte Mattout de BFMTV concède que la chaîne ne le considère pas encore comme un homme politique. « Il est officiellement en promo pour son livre, nous ne décomptons donc pas son temps de parole. » Une marge de manœuvre que les médias ne se cachent pas d’utiliser à leur profit, sans craindre des sanctions immédiates et radicales. 

Le pluralisme politique dans le paysage audiovisuel reste ainsi très difficile à respecter – malgré les efforts de certains programmateurs et du CSA – tant les lignes éditoriales et la course à l’audience dominent. Mais demeure-t-il le juge de paix d’une démocratie au sens premier du terme ? « Plutôt que de seulement contrôler le temps de parole, il faudrait  changer les conditions du débat politique en instaurant un dialogue plus direct avec le peuple », suggère Christian Salmon, écrivain, chercheur et spécialiste du décryptage politique dans les médias. 

Abdelmalek Benaouina (@abmlk) et Théo Putavy (@TheoPutavy)