Vu de l’étranger : « une élection est un grand théâtre ou un drame »
Les correspondants à Paris des journaux El Pais, Die Welt et The Guardian décryptent la campagne présidentielle française dont ils suivent avec prudence les premiers événements. Le phénomène Éric Zemmour suscite l’inquiétude.
Jon Henley, correspondant pour le quotidien britannique, The Guardian.
“La France reste avec les États-Unis l’un des pays étrangers auquel les anglais s’intéressent le plus. Il y a une relation spéciale entre la France et la Grande Bretagne, une sorte de relation d’amour-haine qui existe depuis des siècles. Donc on suit toujours les élections françaises de très près. Il y a beaucoup de querelles bilatérales entre les deux pays, telles que la pêche ou la migration, auxquelles s’ajoutent les problèmes fondamentaux des relations avec l’Europe.
L’intéressant dans cette campagne, ce sont les personnages : Emmanuel Macron, qu’on a suivi de très près depuis 2016, suscitait l’intérêt des Anglais car il représentait quelqu’un de nouveau avec un courant politique totalement inédit. Aujourd’hui, c’est la montée d’Éric Zemmour et le relatif déclin du Rassemblement National qui intéressent. On regarde avec effroi ce phénomène et le parallèle avec l’arrivée de Donald Trump aux États-Unis ou le Brexit en Grande Bretagne est inquiétant. La chose qui me frappe le plus et qui me fait le plus peur, c’est cet amour des médias pour la polémique et les fausses controverses et leur difficulté à traiter ce genre de personnages qui se moquent de la vérité.
The Guardian publie plus au moins un papier par semaine sur la politique française. On augmentera le rythme à partir de février ou mars. On ne peut évidemment pas suivre les élections au même rythme que la presse nationale française. Par exemple, nous n’avons pas couvert le fait que Xavier Bertrand ait annoncé qu’il participerait bel et bien au congrès des Républicains. On attendra de faire un papier cette semaine ou la semaine prochaine qui essaiera de résumer les développements dans le centre droit français. Ce qui compte pour un lectorat étranger, c’est de savoir qui sera le candidat définitif ! Nous sommes trois correspondants à Paris dont deux qui couvrent la campagne. À l’approche du vote, il y aura sans doute une troisième personne qui viendra en renfort.”
Martina Meister, correspondante à Paris pour le quotidien allemand Die Welt.
“Il est encore un peu tôt pour décrypter cette campagne présidentielle. Les élections précédentes ont montré que tout peut changer. On le voit déjà à travers la candidature – ou non candidature – d’Éric Zemmour : on ne sait pas ce qu’il va se passer et il y a toujours des surprises. Donc je ne m’attends pas à quelque chose de prévisible, je pense plutôt que tout peut basculer comme lors des précédentes élections qu’on n’a pas bien estimées, à l’image de Donald Trump ou du Brexit. Il faut être extrêmement prudent et ne pas trop se fier aux sondages.
L’enjeu, pour nous, est évidemment très important selon qu’il y ait un candidat pro ou anti européen. La France est un pays voisin mais également un grand partenaire. En Allemagne, l’austérité et la rigidité du budget sont au cœur de l’actualité. Nous suivons ce qui se passe et ce qui est proposé avec ce regard. Les Allemands ont peur, il y a ce mythe du « on paye pour les autres » au sein de l’UE, donc la politique économique et financière est très importante pour nous.
Nous venons de boucler les élections allemandes donc je ne couvre pas encore la campagne française de manière intensive. Ce n’est pas au centre des préoccupations des Allemands. Les élections françaises prennent réellement de l’ampleur quelques semaines avant le vote. On commence toutefois à dépeindre et expliquer le paysage politique français. J’ai l’impression que les Français se sont intéressés tardivement aux élections en Allemagne, plutôt début septembre quand on était déjà très proche du vote.
Je suis la seule correspondante pour Die Welt à Paris. Il n’y a malheureusement pas de renfort prévu pour la couverture des élections. Je pourrais peut-être en demander. La tendance est plutôt à l’allègement qu’au renforcement, question de moyens …”
Marc Bassets, correspondant à Paris pour le quotidien espagnol El Pais.
« À six mois de l’élection, je pense qu’il faut prendre des précautions. D’après ce que j’observe, il y a une très forte solidité du président Macron après la pandémie et toutes les mesures qu’il a prises en soutien de l’économie et de la vaccination. Le grand phénomène actuellement, c’est Éric Zemmour. J’ai d’ailleurs publié un article à son sujet cette semaine. C’est un phénomène nouveau et inattendu donc qui a un intérêt journalistique. Cela révèle beaucoup de choses sur la France et même sur l’Europe… C’est la photo actuelle, six mois avant les élections. Il y a cinq ans, la photo d’octobre 2016 était complètement différente de celle de février 2017.
Ce que je remarque en comparant la campagne allemande à la française, c’est l’omniprésence des thématiques de l’immigration, de l’identité et de la souveraineté en France. En Allemagne, on ne parlait pas d’immigration alors qu’il y a des immigrés et des problèmes similaires. La France est un pays où il existe une obsession et un débat permanent sur les questions identitaires. Ce qui explique en partie pourquoi Éric Zemmour a ce succès et pourquoi, même s’il échoue dans sa campagne, il aura réussi à mettre ce sujet de l’identité au centre de tous les débats, à tel point qu’on ne parle plus que de ça en France. Chaque pays a ses propres névroses et sujets qui occupent l’actualité et qui sont parfois surdimensionnés et cachent des problèmes plus importants. En Espagne, c’est la question territoriale ou régionale avec la Catalogne notamment. Je crois que les élections sont très intéressantes à couvrir, c’est un prétexte au fond, pour raconter un pays. Une élection c’est comme un grand théâtre ou un grand drame dans lequel s’expose un miroir où l’on voit se refléter un pays.
À El Pais, la couverture de la campagne n’est pas encore intensive. Ce n’est que deux semaines avant le vote que la couverture du journal sera vraiment très forte, avec près de deux pages par jour dans les deux semaines précédant le vote. Nous sommes deux correspondants à Paris pour El Pais, il est probable que quelqu’un vienne de Madrid pour renforcer l’équipe.«
Propos recueillis par Mathilde Muschel (@MathildeMuschel)